TÉRATOLOGIE ANIMALE

TÉRATOLOGIE ANIMALE
TÉRATOLOGIE ANIMALE

Les monstres étaient considérés depuis l’Antiquité comme des êtres fantastiques, néfastes et frappés de malédiction. Par suite des obstacles s’opposant au développement des connaissances en anatomie, les quelques descriptions de monstres étaient restées longtemps peu objectives, voire fantaisistes. Aucun recueil n’en faisait une synthèse cohérente.

C’est seulement au XIXe siècle que Geoffroy-Saint-Hilaire et son fils Isidore entreprirent l’étude systématique des monstruosités et fondèrent ainsi la tératologie. La science des monstres est donc relativement récente.

Qu’est-ce qu’une monstruosité? On réserve cette dénomination aux aberrations les plus spectaculaires. Celles-ci ne sont généralement pas viables et ne peuvent être observées que sur des individus mort-nés ou morts avant terme. Certains autres cas, plus discrets mais pouvant être rattachés à diverses catégories de monstruosités, sont viables. Ce sont des anomalies et les malformations comme, par exemple, le bec-de-lièvre.

Une monstruosité est congénitale. Un individu naît monstrueux, il ne le devient pas au cours de sa vie. Il s’agit donc d’une aberration du développement embryologique. La tératologie se propose d’étudier non seulement la nature d’une telle aberration, mais aussi de préciser le moment de son apparition, le mécanisme de son développement, et, si possible, sa cause.

Les types de monstres sont extrêmement variés; leur organisation est cependant régie par un certain nombre de lois. Celles-ci permettent d’apparenter certaines monstruosités qui semblent très différentes, et d’en ordonner la diversité. Par ailleurs, le fait qu’une monstruosité présente les mêmes caractéristiques chez tous les Vertébrés indique que sa genèse doit être la même dans tous les groupes. Grâce aux travaux de Geoffroy-Saint-Hilaire, les diverses monstruosités sont classées. On peut distinguer d’entrée deux grandes catégories de monstres: les monstres simples et les monstres doubles.

1. Les monstres simples

Les monstres simples sont représentés par des individus uniques, porteurs de malformations ou de monstruosités plus ou moins apparentes. Chez certains, un membre, un organe peuvent disparaître complètement; d’autres diffèrent des individus normaux par leur constitution. Dans tous les cas, la monstruosité, qui peut parfois être masquée ou compensée par des remaniements précoces, procède d’une altération initiale, localisée au niveau de la tête, du tronc ou des membres.

Déficiences au niveau de la tête

Cyclopie

La cyclopie est la monstruosité la plus simple mais aussi la plus spectaculaire. Le cyclope, apparenté à la famille des cyclocéphales, ressemble à celui qui est décrit par Homère dans L’Odyssée . Il porte un œil au milieu du front, tandis que la région nasale constitue une petite trompe, ou proboscis , dorsale par rapport à l’œil. Il existe entre cette forme et l’individu normal tous les intermédiaires. Le synophtalme est un cyclocéphale à deux yeux soudés dans une seule orbite.

La fusion plus ou moins complète des yeux n’est qu’une conséquence secondaire de la cyclopie. Le caractère principal de cette monstruosité est une déficience de certaines parties de la face, notamment du maxillaire supérieur, déficience liée à une atrophie quasi complète du cerveau antérieur. La disparition de ce dernier favorise le rapprochement des yeux qui peuvent se fondre en un organe unique. Ce phénomène, bien connu chez les Oiseaux, se retrouve également chez les autres Vertébrés, et en particulier chez l’homme.

Il arrive parfois que le maxillaire inférieur soit également atrophié. On obtient alors un otocéphale, chez lequel les cavités buccale et auriculaires sont réunies, tandis que les pavillons des oreilles viennent occuper la place normale du menton (fig. 1).

Anencéphalie

Chez l’anencéphale, la voûte crânienne manque totalement, et l’encéphale paraît absent. À sa place, on voit une plaque épithéliale, d’aspect gélatineux et boursouflé directement rattachée à la peau de la face et du cou. On explique cette monstruosité par un défaut de fermeture du tube nerveux primitif.

À l’origine, une plaque épithéliale se différencie dans la région dorsale de l’embryon. Cette plaque se déprime bientôt en gouttière neurale, qui finalement se ferme pour constituer un tube isolé de l’épiderme, ébauche du système nerveux définitif (cf. EMBRYOGENÈSE ANIMALE, fig. 7). La partie antérieure de ce tube se renfle en une vésicule qui, par différenciations successives, constituera l’encéphale avec ses divers territoires. Il peut arriver que, sous une influence quelconque, cette vésicule ne se ferme pas et demeure ainsi bloquée dans son développement à l’état de plaque plus ou moins étalée, qui empêche la voûte crânienne de se différencier.

L’anencéphalie peut être accompagnée d’une spina bifida . Dans ce cas, c’est toute la gouttière neurale qui reste ouverte. N’étant pas recouverts par l’épiderme, les éléments vertébraux ne pourront se fermer; il n’y aura donc pas de colonne vertébrale normale.

Déficiences du tronc et des membres

Les déficiences du tronc et des membres sont les plus nombreuses et les plus variées, pouvant aller d’une simple disposition anormale à la disparition d’un ou de plusieurs organes.

Le cas le plus simple est l’ectrodactylie , caractérisée par la disparition d’un ou de plusieurs doigts. Dans l’ectromélie , un ou plusieurs membres sont absents; les culs-de-jatte sont des ectromèles. On pense, à juste titre, que l’ébauche initiale des membres manquants ne s’est pas développée ou bien s’est arrêtée dans son évolution. Dans cette catégorie se rangent tous les cas d’absence totale d’un ou des membres, tandis que les hémimèles regroupent toutes les monstruosités intermédiaires entre l’ectromélie et l’individu normal.

Symélie

Les symèles, ou syméliens, ne possèdent qu’un seul membre postérieur situé dans le prolongement de la colonne vertébrale. Il résulte de la fusion des deux membres primitifs qui s’unissent et s’orientent à l’envers. Le talon est ainsi tourné vers l’avant. Le squelette du membre unique ne possède qu’un seul fémur de taille importante. Il peut, par contre, comporter deux tibias parallèles et cinq à dix orteils qui attestent ainsi l’origine double du membre. Généralement, la région du bassin est atrophiée et télescopée. Son aspect permet d’expliquer comment la symélie prend naissance. L’avortement des organes postérieurs axiaux permet la soudure des deux bourgeons de membres postérieurs qui subissent des flexions et se soudent à l’envers. Ce phénomène est complété par des malformations externes et internes du système urogénital, dont certains éléments peuvent manquer tout à fait, au point qu’il devient parfois impossible de déterminer du premier coup d’œil le sexe d’un symélien. Il est évident que, en raison de l’absence d’organes aussi indispensables, une telle monstruosité n’est pas viable.

Phocomélie

La phocomélie est une anomalie viable. Les phocomèles ont des membres courts dont l’aspect rappelle ceux ces phoques. Chez ces monstres, la main est bien développée, mais elle se rattache directement à l’épaule, sans interposition du bras ni de l’avant-bras. Cette malformation s’explique par la disposition du bourgeon de membre chez l’embryon. À un certain stade, ce bourgeon est constitué par une palette à cinq rayons, qui se développera en main ou en pied. La partie basale du bourgeon, qui doit évoluer en bras ou en jambe, est alors très courte et ne grandira que plus tard. Certaines substances, en particulier la thalidomide, peuvent provoquer un arrêt de développement de cette partie intermédiaire. Si la main continue à évoluer, elle se trouvera rattachée à l’épaule par l’intermédiaire de petits éléments osseux, correspondant soit à des rudiments brachiaux, soit à des osselets métarcarpiens ou métatarsiens.

Cœlosomie

La cœlosomie se traduit par l’extrusion des viscères. Le tube digestif et le cœur sont visibles de l’extérieur et constituent une hernie qui fait saillie par un orifice ombilical de très grande dimension.

On connaît le mécanisme de formation d’une telle monstruosité. À l’origine, la paroi abdominale est incomplète et laisse un orifice important qui permet le passage des vaisseaux rattachant le fœtus au placenta. Une anse intestinale y prend également place et forme une hernie dite physiologique qui disparaîtra progressivement après le troisième mois de grossesse, tandis que la paroi abdominale se fermera. Si ce processus de fermeture ne se produit pas, la hernie physiologique subsistera et pourra même prendre une importance encore plus grande. Ainsi naîtra un cœlosomien.

Un cas plus poussé de monstruosité conduit à l’hémisomie , dans laquelle toute la partie inférieure du tronc manque. Enfin, le maximum d’aberration est représenté par les ectrosomes , très rudimentaires et constitués seulement de quelques organes qui ont partiellement évolué.

2. Les monstres doubles

Les monstres doubles sont composés de deux individus plus ou moins intimement fusionnés, et provenant du dédoublement d’un individu primitif. Il est bien entendu que ce dédoublement a dû s’effectuer assez tôt dans le développement embryonnaire pour que chaque individu puisse, par jeu de régulation, reconstituer les parties qui lui manquaient.

La variété des monstres doubles est considérable; elle est fonction des combinaisons possibles entre les deux individus. Geoffroy-Saint-Hilaire y distingue trois catégories principales: les monstres en Y, les monstres en, les monstres à axes parallèles.

Les monstres en Y

Les monstres en Y ont un axe bifurqué à partir d’un certain point du corps. Simples dans la région inférieure, ils sont doubles dans la région supérieure.

La séparation partielle en deux individus est plus ou moins prononcée. On peut rencontrer des êtres dont le corps est surmonté de deux têtes, ce sont les dérodymes (fig. 2). Leur étude anatomique révèle que, sous une apparence simple, la colonne vertébrale est dédoublée sur presque toute sa longueur. Elle porte cependant une cage thoracique simple, et se raccorde à un bassin unique. Les viscères sont simples ou doubles selon leur niveau.

Chez les thoracodymes , la séparation s’accentue. Le haut du tronc est double et peut porter deux paires de bras. Parfois, les deux bras internes se réunissent en un seul membre dont le squelette est double. La main peut alors avoir plus de cinq doigts.

À l’extrême, les psodymes possèdent deux corps bien distincts portés par une seule paire de jambes. Chaque individu a ses propres organes. Seuls l’appareil urogénital et l’anus sont communs.

Il existe certains cas plus discrets de dédoublement. Celui-ci se traduit, par exemple, par la présence de deux nez dans un visage élargi (fig. 3). Parfois, un rudiment de troisième œil apparaît entre eux, il arrive même que deux yeux prennent place dans une seule orbite médiane. Cette monstruosité n’est pas incompatible avec la vie. Elle provient soit d’une amorce de dédoublement en Y, soit d’un dédoublement purement local.

Les monstres en size=5凞

La constitution des monstres en est à l’inverse des précédents. Leur organisation est simple dans la région supérieure et double dans la région inférieure (cf. JUMEAUX, fig. 2).

Les déradelphes ont une seule tête, mais deux troncs et quatre paires de membres. Leur visage est normalement tourné vers la face ventrale. Dans les cas extrêmes la tête manifeste aussi une tendance au dédoublement, de sorte que certaines de ses parties forment deux organes identiques mais distincts.

Chez d’autres individus, la tête et le corps sont simples, seuls les membres inférieurs sont doubles. Les deux jambes internes peuvent d’ailleurs se réunir en une seule située dans le plan médian.

Les monstres à axes parallèles

Les monstres à axes parallèles, placés debout, sont constitués de deux individus plus ou moins fusionnés en des régions variables. Ils peuvent être face à face, dos à dos, ou côte à côte.

Le premier cas est le plus fréquent; il constitue, selon Geoffroy-Saint-Hilaire, le groupe des tératopages . Parmi eux se trouvent les frères siamois. De tels monstres sont parfois viables; plusieurs exemples de frères ou de sœurs siamois sont devenus célèbres. Ils peuvent être physiologiquement indépendants l’un de l’autre. Leur liaison est alors assurée soit par un pont de chair, soit par un pont osseux. Les siamois Chang et Eng étaient ainsi reliés par un appendice xiphoïde du sternum; c’est pourquoi on leur a donné le nom de xiphopages .

Si le lien entre les deux partenaires devient de plus en plus ténu, leur indépendance devient de plus en plus grande. On arrive peu à peu à la phase ultime de la monstruosité: le couple monstrueux devient un couple de jumeaux vrais [cf. JUMEAUX].

Les céphalothoracopages sont des monstres également à axes parallèles, unis à la fois par la tête et par le thorax (fig. 4). Ils possèdent un double visage et ressemblent en cela au dieu Janus. Pour cette raison, ils sont appelés janiceps . Leurs corps sont intimement liés; leurs organes, quoique individualisés, sont réunis en une masse compacte. Chacun possède deux bras et deux jambes. Leurs visages présentent la particularité d’être latéraux. On peut imaginer qu’au cours du développement la face de chaque individu s’est scindée en deux, chaque moitié d’un visage ayant été rejetée de côté pour s’unir à une moitié de l’autre. Ces visages sont donc mixtes.

3. Tératologie expérimentale

Ce bref survol des principales monstruosités donne un aperçu de leur grande variété. Ainsi qu’il a été indiqué, elles se développent suivant un certain nombre de lois aussi rigoureuses que celles qui régissent le développement normal. Grâce à cette ordonnance, la tératologie expérimentale permet, en apportant une perturbation aux mécanismes embryologiques, de connaître leur assemblage et d’expliquer leur fonctionnement. Elle répond ainsi à l’une des questions fondamentales que l’on se pose: comment apparaît une monstruosité?

Les différentes techniques de la tératologie expérimentale autorisent la production sur commande de telle ou telle monstruosité. L’emploi de certains facteurs spécifiques les déclenchent de manière constante; cependant, de nombreux facteurs dépourvus de spécificité peuvent provoquer les mêmes effets.

Certains groupes animaux, en particulier les Amphibiens et les Oiseaux, offrent à l’expérimentateur un matériel de choix. Les Mammifères sont beaucoup moins accessibles en raison même de leur type de développement. Ces différences ont conduit à l’utilisation de deux techniques: les techniques indirectes et les techniques directes. Dans le premier cas, on fait subir à l’embryon une perturbation générale, soit physique, soit chimique, qui modifie les conditions normales du milieu dans lequel il évolue. Dans le second cas, on fait agir localement des agents destructeurs. Cette seconde catégorie de méthodes a l’avantage de permettre, d’une part, le choix du stade de l’intervention, d’autre part, le territoire que l’on a l’intention de perturber.

Techniques indirectes

Plusieurs auteurs ont utilisé, et utilisent encore, les techniques indirectes pour obtenir des monstruosités. Le premier d’entre eux est C. Dareste (1865-1891), qui a modifié les conditions normales du développement de l’embryon soit par action mécanique (secousses), soit par action physique (modifications de la température, interruption temporaire de l’incubation, par exemple). Il a pu obtenir ainsi plusieurs catégories de monstruosités; les résultats étaient toutefois très variables, et il était difficile d’établir une relation précise entre l’agent perturbateur et les monstruosités produites.

D’autres investigateurs ont fait agir des substances chimiques. Le chlorure de lithium détermine la cyclopie si on le fait agir sur des œufs en segmentation d’Amphibiens ou de Poissons. En effet, le chlorure de lithium affaiblit la partie antérieure de l’organisateur primaire, la plaque préchordale, qui, n’a donc qu’un faible pouvoir inducteur dans la région médiane antérieure. Il en résulte une grande déficience du prosencéphale. Les ébauches oculaires, moins touchées que les parties médianes de l’encéphale, se réunissent en un organe impair. H. Lutz a montré qu’en répandant certains pesticides sur des œufs d’oiseau en cours d’incubation on pouvait stériliser complètement les jeunes poussins.

P. Ancel et S. Lallemand (1939) ont perfectionné cette méthode de travail. Par l’utilisation de substances chimiques particulières, ces auteurs ont développé la chimiotératogenèse (1950) et prouvé l’action élective de certains composés pharmacologiques. Ainsi, ces ébauches embryonnaires ne sont sensibles aux agents tératogènes qu’à un certain moment de leur développement. Un agent tératogène spécifique est donc susceptible d’entraîner l’apparition d’une monstruosité donnée si on le fait agir à un stade bien déterminé du développement embryonnaire. Ce stade, dit de sensibilité tératogénique, varie avec l’ébauche considérée. De ce fait, le même agent perturbateur appliqué à une époque différente du développement, peut provoquer l’apparition de monstruosités parfois terrifiantes si les ébauches sont au stade de sensibilité maximale, ou ne provoquer que des anomalies mineures si ce stade est déjà dépassé.

Un exemple en a été donné il y a quelques décennies dans certains pays européens par l’emploi de la thalidomide par des femmes enceintes. Les conséquences en ont été désastreuses pour les enfants, affectés systématiquement de malformations des membres, et en particulier de phocomélie. Comment la thalidomide a-t-elle pu agir? Différentes expériences, réalisées chez plusieurs groupes d’animaux, permettent de répondre à cette question. Les expériences de B. Salzgeber sur le poulet sont à ce titre démonstratives. Salzgeber applique directement la substance sur la région postérieure d’un embryon de trois jours et demi et obtient ainsi une atrophie des membres, et plus spécialement de la partie correspondant au bras, à la cuisse, à l’avant-bras et à la jambe. Ainsi se réalise la phocomélie typique. Toutefois, les résultats varient avec l’espèce soumise au traitement. La souris et le lapin réagissent beaucoup plus violemment que le rat, chez lequel on ne relève que peu de malformations. Pour savoir ce qu’il en serait dans l’espèce humaine, il convient donc d’utiliser comme animal de laboratoire celui qui semble le plus proche de l’homme, en l’occurrence le singe anthropoïde. Il faut cependant tenir compte du fait que le placenta des Mammifères constitue une barrière entre la mère et le fœtus, et que cette barrière peut ne pas laisser passer l’agent tératogène sous sa forme pure, mais sous une forme chimique différente. Cela complique singulièrement le problème, car si l’on ne sait pas sous quelle forme sera métabolisé l’agent tératogène, ni quels seront ses dérivés, il sera difficile d’en évaluer le degré de toxicité.

Une autre substance chimique, l’ypérite azotée, provoque la formation d’embryons de poulet phocomèles, dans des proportions remarquables (Salzgeber). La constance des résultats offre alors la possibilité d’approfondir le mécanisme d’action de l’agent tératogène. En faisant agir l’ypérite séparément sur les constituants ectodermique et mésodermique de l’ébauche de membre, on constate que le mésoderme est profondément touché et qu’il renferme des zones importantes de nécrose, affectant les territoires présomptifs de squelette cartilagineux. Ce dernier ne se développera pas normalement et présentera des atrophies notables.

Certaines carences de substances peuvent également provoquer des monstruosités. Ainsi, la carence en vitamine B2 à laquelle serait soumise une souris gestante entraîne chez les jeunes des fissures palatines et autres anomalies de constitution. De même une carence en vitamine A agit sur le développement des yeux, dont la taille est réduite (microphtalmie) ou nulle (anophtalmie).

Il est possible d’établir un parallèle entre les résultats apportés par les méthodes expérimentales indirectes et les conséquences de certaines affections pathogènes. On connaît chez l’homme les effets d’une maladie telle que la rubéole [cf. RUBÉOLE]. particulièrement dangereuse entre la sixième et la dixième semaine de la grossesse, elle provoque chez le fœtus des malformations cardiaques, des anomalies dentaires ou oculaires et parfois la surdi-mutité. Une toxine est responsable de ce tableau clinique; elle franchit la barrière placentaire, et son action serait identique aux effets que l’on peut obtenir expérimentalement en chimiotératogenèse.

D’autres agents lésants, tels les rayons X et des éléments radioactifs, peuvent présenter des dangers réels. Les explosions nucléaires sont également génératrices de monstruosités. Il est possible en laboratoire de discipliner ces irradiations et de mesurer leurs effets d’une manière précise. Cette technique permet en outre d’établir de véritables cartes topographiques d’un embryon.

Techniques directes

Tandis que les techniques indirectes permettent d’obtenir des monstruosités dont il n’est pas possible, à quelques exceptions près, de prévoir la nature, les techniques directes donnent le moyen de réaliser à volonté une malformation déterminée chez n’importe quel embryon.

P. Ancel et E. Wolff ont mis au point une technique d’irradiation localisée aux rayons X. Ceux-ci provoquent l’arrêt du développement du territoire irradié, sans perturber celui des territoires voisins. Par cette méthode, E. Wolff a pu explorer totalement les territoires présomptifs de l’embryon d’oiseau, déterminer ceux qu’il convient de détruire pour obtenir telle ou telle monstruosité, et dresser une véritable carte de ces territoires (fig. 5).

La figure 6 montre un cyclocéphale à deux yeux obtenu par irradiation de l’encéphale antérieur. De la même manière, E. Wolff a reproduit les grandes malformations du tronc et des membres (fig. 7) en détruisant, à l’aide de rayons X, les ébauches des organes axiaux (chorde, moelle, somites), déterminés mais non encore différenciés, qui sont destinés à venir se placer normalement entre les bourgeons des membres. Grâce à une technique appropriée, les monstruosités spontanées telles qu’elles ont été décrites dans la première partie peuvent donc être systématiquement reproduites en laboratoire.

La technique microchirurgicale permet, elle aussi, de reproduire expérimentalement les monstruosités. Elle a l’avantage d’éliminer radicalement une ébauche au bénéfice des ébauches voisines, alors que les rayons X laissent en place un bouchon nécrotique qui ne sera résorbé qu’après plusieurs heures, voire plusieurs jours. Toutefois, les malformations obtenues par l’une et l’autre technique sont identiques. Si, par exemple, on enlève l’encéphale embryonnaire, les yeux fusionnent totalement, et on obtient des cyclopes typiques dont l’œil ne présente, du moins extérieurement, aucune trace de son origine double (fig. 8).

Production de monstres doubles et de jumeaux

Les monstres doubles, ainsi que les jumeaux, peuvent être reproduits par l’emploi des méthodes directes. H. Spemann (1903) avait montré que l’on en obtenait chez les Amphibiens en séparant les deux premiers blastomères. Si la séparation est incomplète, il se forme un monstre double. Deux embryons normaux se développent si la séparation est complète (cf. MORPHOGENÈSE ANIMALE, fig. 1).

La même expérience a été réalisée chez l’oiseau par H. Lutz (cf. MORPHOGENÈSE ANIMALE, fig. 2). La grande malléabilité du matériel embryonnaire et son immense pouvoir de régulation permettent après fragmentation du germe en deux parties, d’obtenir deux embryons parfaitement constitués. Lutz a pu même fragmenter le germe en quatre parties qui donnent alors quatre embryons identiques. La fissuration incomplète du jeune disque embryonnaire aboutit à toute la gamme des monstres doubles, en Y ou en, et explique, de ce fait, l’origine et la genèse des cas spontanés.

L’avantage de la tératologie expérimentale est donc de pouvoir reproduire à grande échelle des monstruosités qui n’apparaissent que rarement dans la nature. Elle permet aussi de travailler à un échelon plus intime. On peut, en effet, se limiter au dédoublement d’un seul organe. Une opération appropriée conduit parfois au dédoublement du cœur, d’un membre ou même d’un doigt. La puissance de régulation que l’on rencontre dans le blastoderme entier existe donc aussi au niveau de chaque territoire de l’embryon.

4. Causes des monstruosités spontanées chez l’homme et les Mammifères

Si toutes les causes ne sont pas encore absolument connues, la plupart d’entre elles ont fait l’objet d’investigations permettant d’en faire une classification.

Certaines malformations sont héréditaires et se transmettent selon les lois de Mendel. Elles ont pour origine une mutation affectant un ou plusieurs gènes et peuvent être dominantes (hémophilie du sexe mâle), ou récessives (anencéphalie): on y rencontrera des maladies constitutionnelles au même titre que des malformations sensu stricto .

D’autres malformations sont provoquées par des facteurs exogènes , physiques ou chimiques. C’est ainsi que des brebis gestantes, ayant ingéré dans un champ une plante nommée Veratrum , donnent naissance dans un grand nombre de cas à des cyclopes. De même, certains rayonnements (cosmiques, rayons X, par exemple) peuvent entraîner indirectement l’apparition de monstruosités diverses. Dans un cas comme dans l’autre, il est possible de mettre en évidence la cause de ce type de malformations et on retombe dans le domaine de la tératologie expérimentale.

La tératologie expérimentale apparaît donc comme le complément de l’embryologie normale. Elle éclaire certains phénomènes, qui apparaissent au cours du développement, tels que la régulation des déficiences d’un organe ou d’une ébauche. Elle montre également qu’après action des inducteurs embryonnaires les différents constituants de l’embryon sont capables d’évoluer indépendamment les uns des autres.

Le fait de reproduire volontairement une malformation déterminée permet de connaître exactement quelle en est la cause, et éventuellement de savoir comment la compenser ou la combattre. Certains agents toxiques déterminant une monstruosité parfois spectaculaire, peuvent être neutralisés par des antidotes que seule l’expérience met en évidence. La production expérimentale de monstres représente donc un moyen de mieux comprendre les mécanismes morphologiques et biochimiques qui président au développement; on imagine aisément la contribution qu’elle apporte dans la prévention des catastrophes auxquelles l’homme lui-même risque d’être soumis.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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